DM en Ayiti


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Published: June 5th 2016
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Dimanche 29 mai. Bonne fête des mères haïtienne! Eh oui, à l’instar de la France, cette journée de fête se célèbre le dernier dimanche du mois de mai ici. Ce matin, une randonnée avec Élise (la coordonnatrice terrain de la Croix-Rouge canadienne) et son conjoint Iker (un Espagnol qui est coordonnateur de projets pour la Croix-Rouge néerlandaise), est prévue. Ce dernier, de par son statut, a droit de conduire les voitures de la Croix-Rouge, donc c’est lui qui nous conduit. Ce charmant couple est accompagné d’une petite chienne de rue qu’ils ont récupérée il y a plusieurs mois, Anpil (« beaucoup », en créole haïtien). Le trio est donc passé me chercher vers 7h30. Fait très comique : Anpil, malgré son allure de canine féroce ayant survécu à la dure vie de chien haïtienne… a le mal des transports! Alors que nous allions vers la montagne, celle-ci nous regardait avec un regard inspirant la pitié… Elle regardait vers le ciel, puis vers nous puis dehors rapidement en chignant, puis vers nous de nouveau. Avant d’arriver à destination, il a fallu ouvrir la fenêtre pour qu’elle vomisse, n’en pouvant plus de la route en montagne. Finalement – et heureusement pour elle – nous arrivons et laissons la voiture dans la Vallée de Jacmel. Iker avait pris soin de tracer un trajet de randonnée en s’inspirant de la vue satellite de Google Map, puis de le télécharger sur son GPS. Vraiment utile et pratique! Bien qu’Iker soit un athlète de haut niveau, accumulant triathlons et marathons autour du monde, il nous a quand même ménagés. Le parcours de 14 kilomètres en montagne n’était pas si difficile, malgré la chaleur. Des paysages merveilleux défilaient devant nos yeux. Nous avons passé des champs de maïs, parcouru des petits chemins tracés par les bergers au fil du temps, traversé des ruisseaux en sautant sur des rochers émergeants, croisé des maisons isolées dont la capacité à tenir encore debout relevait du mystère… ou du miracle? Nous avons aussi vu une vieille arène de bataille de coqs en bois. Selon Iker, les Haïtiens peuvent parier jusqu’à 100 000 gourdes (2 500$) pour ces confrontations surnommées « gaguerre », même s’ils peinent à payer le matériel pour leurs activités agricoles. Nous saluions les gens d’un grand « Bonjou mèsye! Koman ou ye? Nou byen grasadyè! » (Bonjour monsieur! Comment ça va? Nous ça va bien, grâce à Dieu!) Ici, quand on réussit à glisser un petit Jésus, Dieu, ou n’importe quelle allusion à la religion catholique, on gagne des points. Déjà nous retourne un sourire lorsqu’on salue, ce même sourire s’étire à son maximum lorsqu’on mentionne la sainte trilogie. Ces Haïtiens que nous croisions, souvent des paysans ou des villageois, étaient très intrigués par notre présence. Ici, ce n’est pas du tout la norme de faire de la randonnée ou du jogging. On marche assez par nécessité, donc cette activité devient peu alléchante comme loisir…! L’argument de la mise en forme ne tient pas trop non plus, la majorité des Haïtiens ayant un corps sculpté au ciseau. Pendant que nous nous amusions devant ces regards intrigués, Anpil saluait les bébés chèvres ou cochons, se faisant à l’occasion charger par les mamans chèvre et truie cachées dans les buissons. Je m’amusais avec elle à courir après les poules, qui exaspérées finissaient par sauter dans un arbuste pour y disparaître. À un certain moment, la fatigue s’empara de nous. Profitant de structures de bois ayant probablement servi de charpentes à un lieu de rassemblement jadis, nous avons dévoré les sandwiches que nous nous sommes préparés. Élise s’esclaffa en constatant à quel point ses carottes et concombres me faisaient saliver. En effet, ici les légumes frais sont une sorte de luxe. Je n’ai pas encore découvert où ils se cachent, à Jacmel. J’ai donc dévoré un petit bâton de concombre avec la même extase que si je goûtais un plat du Toqué ou une poutine de Victoriaville. Une autre surprise exquise nous attendait dans le sac d’Élise : une mangue!! Je n’ai pas besoin de vous signifier à quel point les mangues ici sont délicieuses, juteuses, vivifiantes… un réal à chaque fois, peu importe la forme! Après avoir repris la route, il ne fallut pas longtemps pour que la pluie s’abatte sur nous. Comme je le disais dans un billet précédent, ici quand il pleut, il pleut vraiment. Les épaisses gouttes de pluie nous pinçaient parfois, tant elles tombaient lourdement. Mais la sensation était tellement rafraîchissante qu’après avoir mis nos objets de valeur à l’abri dans nos sacs, nous avons continué de sillonner les petits chemins devenus vaseux. Nous souliers s’enfonçaient et une galette de terre se formait sous nos souliers, rendant n’importe quelle surface glissante. Nous étions bruns, ocres, parfois avec des teintes de vert végétal si nous devions traverser des buissons. Anpil, elle, semblait prendre les gouttes de pluie pour une rafale de croquettes pour chien au poulet, chassant les gouttes de pluie qui percutaient son museau. Après cette pluie d’une trentaine de minutes, les gens nous défiguraient encore davantage, riant à l’occasion en nous demandant si la douche avait été bonne. Une fois arrivés à la voiture, dont les sièges ont déjà eu l’habitude de derrières mouillés pleins de boue, mes amis me ramenèrent à l’appartement, où je restai allongé pour une durée indéterminée, brûlé, jusqu’à ce que mon téléphone sonne. C’était Figaro, qui me demandait de passer une amie, Francesca, avant d’aller le rejoindre à la plage de Raymond-les-bains. Commençant à avoir l’habitude de la ponctualité version haïtienne, je l’appelai deux fois plutôt qu’une pour éviter de faire attendre le chauffeur de la Croix-Rouge qui accepterait gentiment de nous amener. Mais ce ne fut pas assez apparemment. Nous avons attendu une petite demi-heure avant que Francesca fasse son entrée remarquée dans la voiture. Talons aiguilles colorés, pantalon serré, chemise au décolleté plongeant, lèvres pulpeuses avec tellement de gloss que je m’y voyais reflété, énormes lunettes de soleil rondes couvrant la moitié de son visage, cheveux – que dis-je – crinière impressionnante qui ferait probablement l’envie de Tina Turner… une top model venait de se joindre à nous, alors que je faisais pichou à côté d’elle avec ma casquette un peu sale, mon vieux t-shirt, mon maillot de bain, mes gougounes et ma serviette. Je repensai un instant à notre destination… ah oui, la plage. Finalement, en jasant avec elle, je me rendis compte qu’elle était une fille toute simple et bien sympathique, jeune et déjà mère d’un grand garçon, qui avait tombé sous le charme d’un jeune homme qui a les mêmes défauts pathologiques qu’elle a toujours reprochés à son père. La plage était bondée. Les percussionnistes, saxophonistes, chanteurs et danseurs se chargeaient de l’ambiance, alors que des gens de tout âge se lançaient à la mer, souvent habillés de la tête au pied (un jour, je comprendrai cette coutume…!). Nous avons vraiment passé une belle soirée, savourant des Prestige(bière locale) et dévorant des lambis, du poisson et des bananes pesées que Figaro, radieux dans sa chemise colorée, nous a offerts généreusement. C’est alors que j’apprends que Figaro est un nom de famille… Celui-ci se prénomme Ernst. Je crois que j’ai fait sa journée en lui disant que son prénom voulait dire « sérieux », en allemand. Je me surpris moi-même de ce relent d’allemand, que j’avais appris au tout début de ma médecine. Figaro était heureux de ce qualificatif, qu’il allait certainement utiliser auprès de la gent féminine. D’ailleurs, depuis ce moment, il signe toujours Ernst Figaro dans le registre de transport de la voiture de la Croix-Rouge, alors qu’il ne signait que Figaro avant. Apparemment que c’est commun d’appeler les gens par leur nom de famille ici. Figaro m’apprit le prénom de plusieurs des chauffeurs… que j’appelle maintenant par leur nom complet, en ricanant un peu. Ainsi, JAMES Bélizère (truc mnémonique : belle misère) est passé chercher Francesca et moi, lorsque nous avons commencé à bâiller un peu trop souvent. Je fus heureux de constater qu’il y avait de l’électricité à l’appartement. Une nuit fraîche sous le ventilateur? Eh non, cette joie fut de courte durée…!



Lundi 30 mai. Ouf, est-ce que je me suis fait tabasser hier soir? Ah non c’est vrai… ce sont les relents de notre superbe randonnée de la veille. Malgré tout, je fais ma petite routine du matin et pars au travail, aux côtés du chauffeur GAMAËL Lafond (truc mnémonique : je pense à Gargamel, le méchant dans les Schtroumpfs). Mais Gamaël ne lui ressemble en rien, jeune et toujours souriant. Au bureau, j’apprends que nous ne partirons pas le lendemain pour le Versant-Est, puisque les résultats de la Commission d’enquête examinant les élections de Martelly (dernier président) et du 1er tour de la présente élection, sortiront demain et que la réaction des Haïtiens est imprévisible. Une crise sociale s’annonce-t-elle? La Commission a été formée suite à des allégations de fraude par l’ancien premier ministre et les candidats en lice actuellement. Une autre condition pour que nous puissions aller dans le Versant-Est est que la rivière Peredo ne soit pas en crue, puisque nous devons la traverser avec la voiture. On verra bien! En attendant, j’en profite pour régler quelques petits détails. Je voulais faire remplacer un dispositif pour ma bonbonne de propane, afin que je puisse cuisiner de nouveau sans faire exploser mon appartement. On m’a suggéré de demander à Atis, l’homme à tout faire de la Croix-Rouge. Celui-ci me dit qu’il faut la remplacer et qu’il va aller vérifier le prix. Je pensais qu’il allait voir sur une liste ou quelque chose du genre… mais non il s’est rendu jusqu’au magasin pour ensuite revenir avec le prix… afin que je lui donne l’argent, pour qu’il retourne au magasin chercher la pièce et me la ramène ensuite. Ouin… niveau efficacité on repassera. Mais je me rends compte de plus en plus que le réflexe d’utiliser le téléphone pour sauver des déplacements inutiles est loin d’être acquis. Je fais cette constatation dans le cadre de mon projet d’évaluation. En effet, les médecins envoient parfois une patiente à un établissement de santé de niveau supérieur lorsqu’elles présentent une condition pour laquelle ils ne disposent pas des ressources nécessaires. Jusqu’ici, tout va bien. Cependant, ils appellent très peu souvent cet établissement, pour vérifier si la patiente peut être reçue. Cela m’a beaucoup surpris, puisque tous ces professionnels sont au courant du fait que ces centres de santé n’ont parfois aucun médecin, ou sont en rupture de stock, ou ont une ambulance brisée, ou ont une génératrice en panne. Une habitude (ou une absence d’habitude plutôt) probablement ancrée dans la culture haïtienne, sur laquelle je devrai nécessairement me pencher dans le cadre de mon projet. Sur l’heure du midi, je revois un ami pour lequel je n’ai pas encore trouvé de truc mnémotechnique (donc, dont j’ai oublié le nom), qui est ingénieur électrique pour le chantier du nouvel hôpital de Jacmel. Je lui demande des questions sur la situation de l’électricité, qui constitue encore un réel mystère pour moi. Il me dit que normalement, il devrait y avoir de l’électricité en Haïti de 15h à 5hAM. Cependant, l’Éd’H (équivalent d’Hydro-Québec, mais en grande difficulté financière) a beaucoup de difficultés et a décidé de couper l’électricité dans plusieurs zones, presque tout le temps. Voilà donc pourquoi je dors tout nu en étoile à suer toutes les toxines accumulées au cours de ma vie depuis quelques jours. Au moins, j’en connais maintenant la raison. Je me dépêche de manger pour aller aux bureaux de Natcom (une des deux grandes compagnies de téléphonie et internet en Haïti, avec Digicell), pour faire réparer ma clé USB qui ne me donne plus accès à Internet. La femme au bureau fait la même procédure que la dernière fois et me redonne la clé USB. Cette fois, j’ai apporté mon portable pour m’assurer que je n’aurai pas à revenir… et comme de fait, ça ne marche pas. Elle demande donc à Casket (même pas besoin de truc mnémonique pour son nom, d’autant plus qu’il avait une casquette) de venir m’aider. Après environ 40 minutes à tout essayer, il essaie la solution ultime : le bouton RESET. Et voilà, tous mes problèmes de connexion furent réglés à cette seconde précise. Ce fameux pouvoir suprême du bouton RESET. Il figure au sommet de la liste des pistes de solution quand quelque chose ne marche pas, juste avant « donner un petit coup pas trop fort pour éviter de tout briser ». Merci Casket! Après quelques heures de travail au bureau, je suis rentré à pied avec un collègue, qui ne me croyait pas que je n’avais pas vu le film Avatar. Il me dit que d’avoir des films en réserve faisait passer les soirées sans électricité plus rapidement, à condition d’avoir une bonne batterie de portable. Il va donc me transférer plusieurs films prochainement. Quelle bonne idée! Plus tard, un des amis rencontré entre deux vagues au Cyvadier vient me rendre visite à l’appartement. Je n’avais pas d’électricité, donc je ne l’ai pas vraiment vu, sauf pour ses dents lorsqu’il souriait. Nous avons jasé longuement de la situation politique, du système éducatif, des valeurs familiales en Haïti. À un certain moment, il me dit qu’il rencontre plusieurs « Blancs » à la plage où il va se baigner. L’un d’entre eux, un Québécois en fin cinquantaine, lui fait fréquemment des virements de 100$ sur un compte de banque. Je n’avais aucune idée si la question de faire de même allait venir, mais je me suis dit que j’allais éviter la question. Puisque j’étais fatigué, j’ai décidé de lui dire que j’étais étudiant et que mes dépenses ici sont payées par les organisations pour lesquelles je travaille, plutôt que de lui expliquer que je préférais investir dans des initiatives à impact plus global, au lieu de donner à des individus régulièrement. Il était tard, donc j’ai préféré ce raccourci à l’explication de ma vision de l’investissement à grande portée pour des activités pérennes, en contexte de pays en voie de développement. De plus, les « Blancs » sont considérés, ici et ailleurs, comme des personnes richissimes qui ont la réputation de tirer de l’argent par les fenêtres. Il est complexe d’imaginer qu’un « Blanc » peut avoir un budget serré, surtout s’il a l’occasion de se déplacer en Haïti. Il est donc bien logique de vouloir demander un peu de cet argent, qui irait à la perte de toute façon. Bref, une tension potentielle évitée habilement…! Une belle soirée fort agréable, encore une fois!





Mardi 31 mai, une journée bien simple. En matinée, je m’informe à savoir si les résultats de l’évaluation de la Commission d’enquête sont sortis. C’est le cas. La Commission a émis un rapport démontrant qu’il y a bel et bien eu fraude lors des élections de Martelly et au 1er tour des présentes élections. Les Haïtiens semblent bien peu surpris. La Commission n’a cependant pas émis de recommandations pour le moment, à savoir s’il faudrait recommencer les élections au complet et dépenser encore plusieurs millions, ou procéder quand même au deuxième tour avec des règles de financement plus strictes. J’ai aussi amélioré mes aptitudes d’exterminateur de fourmis pendant la matinée, puisque celles-ci avaient décidé d’envahir mon bureau. Le dîner fut très copieux : duri blan, legum vyann poule ak sos pwa (riz blanc, poulet aux légumes avec une épaisse sauce aux haricots recouvrant le tout). Un délice, mais ce repas allait certainement me convenir pour survivre jusqu’au lendemain. D’ailleurs les Haïtiens ont l’habitude de manger seulement deux fois par jour. Ils mangent un grand repas salé vers 6h AM, puis un autre repas bien garni vers 12h30 ou 13h. Ensuite, ils ne mangeront pas jusqu’au lendemain. Bien que je sois un grand mangeur, je me suis habitué à cette routine. J’ai quand même quelques grignotines chez moi, au cas où mon estomac oublierait que je ne suis plus au Québec. Ce soir-là, l’électricité haïtienne me mystifia encore davantage. La lumière du balcon à l’extérieur et le réfrigérateur fonctionnaient, mais je n’avais pas d’électricité ailleurs. Bon… il faut savoir tirer avantage de ce qu’on a…! Je me suis donc fait bien plaisir à savourer de l’eau froide pendant la soirée, en lisant sur mon balcon au-dessous duquel passent les motos, voitures et camions en klaxonnant allègrement. On s’habitue à ce bruit qui peut paraître agressant à prime abord, mais qui fait bel et bien partie du paysage haïtien. En soirée, Vladimir vient me porter d’autres croquioles et des mangues pour le voyage. J’étais passé par le supermarché après la journée de travail, pour faire quelques provisions pour le voyage du lendemain.

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9th June 2016

Tes récits sont si précis qu'on a l'impression d'y être! Ouf, j'ai chaud pour toi, tu vas fondre!
Hier j'étais au Rendez-vous annuel du Réseau d'innovation sociale du Québec. J'y ai rencontré une jeune femme avocate qui agit maintenant comme médiatrice et a fait du développement international dont Haïti qu'elle connaît bien. Je lui ai donné le lien de ton blogue. Son nom : Kahina Ouerdane. Son entreprise: Nuveka. Ce serait intéressant de faire un 5 à 7 avec elle pour parler d'Ayiti à la rentrée. Lâche pas!
10th June 2016

Ma chère entremetteuse!
Quelle bonne idée, ce 5 à 7! Ce sera un plaisir de te conter toutes mes mésaventures haïtiennes de vive voix, et de rencontrer cette Kahina Ouerdane! Les rencontres que tu as provoquées pour moi ont toujours été d'un grand intérêt. Merci, chère amie!

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